lundi 20 juillet 2015

L'intégrale de Riquet



Un mental d'airain, inflexible, inaltérable. Une force capable de faire abstraction de la douleur, de la faire taire ou de la dompter. Une force qui te permet de faire un pas supplémentaire alors que cela fait longtemps que tu n'en as plus les capacités physiques.

Voilà ou se trouve la clef du finisher.
En avoir n'est pas forcement gage de réussite. Tant d'imprévus peuvent subvenir en 240 kms. Mais en manquer, est à coup sûr synonyme d'échec.

Aujourd'hui, j'ai découvert qu'au delà de cette force indispensable, une autre beaucoup plus sélective rentrait en ligne de compte : le mental de performer.
Là ou celui de finisher te permet d'atteindre ton but dans les délais impartis, celui de performer va au delà. Tu sais que tu vas finir mais tu continues à te faire mal pour aller toujours plus vite. Guerrier dans l'âme. Stephane Ruel en est le parfait exemple : mort, vomissant tripes et boyaux, atteint de malaise vagal, l'homme se relève et repart à 12 km/h comme si de rien n'était. Pas de place pour le doute, atteindre l'arrivée le plus rapidement possible en emprisonnant ses faiblesses physiques dans une camisole mentale.

En franchissant la ligne d'arrivée, point d'effusion excessive ni de joie démesurée mais ce paradoxe difficile à admettre : je suis finisher mais pas performer. Je n'en suis pas capable . Passagèrement ou éternellement, l'avenir nous le dira.

Ces résultats me font penser à ma scolarité : « bien mais en garde sous la semelle ». Peut être devrais je affronter des barrières horaires plus ardues pour révéler ce que j'ai ou pas dans le bide.

Tout n'a pourtant pas été simple durant ce long périple. Résumer 240 kms en quelques lignes est impossible tellement le flot de sensations oscille entre la plénitude totale et l'agonie extrême. Tout est décuplé. La fatigue aidant, les émotions sont exacerbées. La moindre marque de sollicitude peut vous rebooster pour deux heures. La moindre contrainte vous envoyer au fond du trou un bon moment.

Le rôle de l'accompagnateur est ici primordial. Il assure, certes , la logistique, vous chouchoute aux ravitos mais vous renvoie aussi l'image de votre forme. C'est vous qui courez et c'est peut être lui qui souffre le plus. Au travers de ses yeux, vous sentez son inquiétude poindre au grès de votre détérioration physique.

Ma femme a encore joué ce rôle et de nombreux concurrents me l'ont envié. Elle a assuré au delà de ce que je lui demandais avec deux nuits blanches, une patience infinie et un accompagnement permanent d'écluses en écluses.

Sans elle, je ne crois pas que j'y serai arrivé.
Avec elle, je sais que je ne courrais jamais seul.

 

Place à la course. La présentation en est simple : 240 kms entre le phare des onglous à Maseillan et Toulouse le long du chemin de hallage du canal du midi. Difficultés principales : les racines, les pierres, le changement de rives, les ascensions répétées des écluses et surtout, la chaleur.

Début juillet, la canicule sévit dans le nord. Ne riez pas, il fait vraiment chaud. Ventilo à fond, bouteille d'eau à portée de main, je consulte le site de météo France pour me rendre compte des prévisions à 7 jours dans l'Hérault, l'Aude et la Haute Garonne qui accueilleront la réjouissante Ballade de Riquet.

 

Pas d'amélioration en perspective. Ça va cogner dur, ça va cogner fort et cela va faire des dégâts. Dans cette perspective, je me force à aller courir en plein cagnard, pour m'habituer au mieux aux conditions qui vont se présenter. Grand bien m'en a pris. La première journée de course fut un enfer. Un accompagnateur vélo me montrera son thermomètre : 47°c. Affreux.

 

Affreux, mais pas tout de suite. Au départ, à l'ombre du club de voile les concurrents envahissent le canal du midi pour faire connaissance avec le chemin de hallage qu'ils vont devoir affronter durant 240 kms. On sent les vieux de la vieille , habitués à ce type d'épreuve. 

 

Car côté couillus, l'intégrale présente ce qui se fait de mieux en terme d'ultra endurance française. Le peloton dispose d'un CV long comme le bras : spartathlon, nove colli, ultrabalaton , sakura michi, badwater … qui laisse envisager un pourcentage de finisher conséquent.

 

Lorsque la meute est lâchée, je commence immédiatement à me jeter sur les moindres zones d'ombre et à tremper ma casquette régulièrement dans le canal. Je pars doucement à 8,5 km/h et bois automatiquement à chaque km ma boisson overstim que j'arriverai à tolérer jusqu'au bout. Les platanes se font de plus en plus rares. Les rayons du soleil plombent l'atmosphère déjà saturée par la stridulation incessante des cigales. La poussière du chemin vole, emportée par nos foulées rasantes.

 

Km 15, Vias plage, ravito improvisé par un suiveur. Je l’atteins et il n'y a déjà plus d'eau. Aucune inquiétude, ma femme est là. D'autres concurrents arrivent déjà à sec. Nous dépannons certains mais leur mauvaise gestion hydrique  leur coûtera probablement cher.
Car au fur et à mesure de l'avancée des kms, les abandons se succèdent. Certains coureurs râlent face à la pénurie de ravitos ou à l'absence de solide sur ceci. Pourtant , le road book est clair et nous en disposons depuis une bonne quinzaine de jours. Suffisamment longtemps à l'avance pour l'analyser et prévoir.

 

Et prévoir parfois jusqu'à l'imprévisible ...
30ème km, Béziers. Ça tape toujours. Le canal en contre bas ne me permet plus de tremper la casquette. Je surchauffe et commence à ressentir un mal de ventre. Quelques oasis de fraîcheur nous permettent encore d'avancer. Un tuyau avec de l'eau fraîche, 

 

un suiveur avec  une douchette manuelle nous aspergent allègrement. L'heure est au rafraîchissement coûte que coûte. Sa température corporelle doit baisser au risque de bâcher prématurément.

 

Dans une des nombreuses zones non ombragées, je sens mon dos, mon short, mes jambes se tremper. Cela coule d'un coup, façon perte des eaux. Je perds une bonne partie de mes réserves si précieuses. Verdict : poche à eau percée. Comment et pourquoi n'ont aucune importance et restent d'ailleurs encore un mystère mais les conséquences sont catastrophiques.
Dans mon malheur brille une lueur de chance. Nous sommes à Béziers et chez les biterrois, il y a un décathlon. Passage express sur internet pour récupérer l'adresse, aller retour de ma femme pendant lequel je vais gérer mes réserves et rendez vous une dizaine de bornes plus loin pour changer la poche.

 

Survivor jusqu'au bout des ongles et chanceux au delà de tout. La réussite ne tient parfois qu'à un fil. Le même fait de course en pleine nuit ou un dimanche et ma course s'arrêtait aussitôt commencée.
Ce manque passager de liquide ne m'a pas pénalisé. Seul le short imprégné de boisson sucrée colle les poils de mes fesses et de mes jambes. Lorsque je m'assoie et que je me relève, j'ai droit à une sensation inconnue d'épilation du maillot. Oh putain le calvaire. Mais j'ai au moins le cul qui sent le citron …

 

Les kms défilent. J'en profite pour admirer ces miracles architecturaux : les écluses de forserannes, 

 

le tunnel du Malpas … Je ne m'attarde guère préférant rester dans ma bulle solitaire.

Car la solitude règne ici en maître. Nous somme toujours seuls. Nous nous croisons parfois, échangeons toujours deux ou trois mots de réconfort mais nous nous séparons immédiatement pour poursuivre nos stratégies de course.
La mienne est toujours aussi simple : gère et cours tant que tu peux. Lorsque cela s’avérera impossible passe à l'alternance marche/course.

 

16h00. La température extérieure atteint son apogée. L'air est irrespirable. L'onde verte à ma gauche offre une fraîcheur qui nous est interdite. Tous les platanes sont coupés. Il ne reste rien pour s'abriter. Je lorgne sur la rive gauche qui dispose encore d'une végétation bien fournie mais elle aussi est inaccessible.
Cela frôle la limite du supportable. La chaleur émane de partout, le paysage jauni, la poussière volante, sèche et un engin de chantier au métal brûlant nous accompagnent jusqu'à Colombiers. A l'horizon l'image se voile sous l'effet de la canicule.

 

Le canal du midi. Platanes, cigales, péniches et soleil. Bucolique.
Le canal du midi. Platanes, cigales, péniches et soleil. Infernal.

Les sources de satisfaction se font déjà rares alors que nous atteignons seulement les 40 kms. Le rêve d'un tuyau débordant d'eau fraîche se réalise finalement à Colombiers.

 

J'en pleurerai. Je me contente de m'y jeter dessus et de m'asperger de haut en bas à de nombreuses reprises. Le corps s'imprègne de cette sensation de fraîcheur, un peu moins écrasé par la température ambiante.

Dégoulinant mais revigoré, je repars à l’assaut du reste de l'aventure. Évidemment, cinq minutes après cette pause salvatrice, mes vêtements sont déjà secs et poussiéreux.

La fin d'après midi fait son apparition . Le soleil couchant tient ses rayons assassins éloigné de nous. Le moment est agréable pour courir. Je rencontre enfin des coins que je connais lors de la jonction du canal du midi avec la robine (km 75). La robine est un canal qui passe par Narbonne, chez moi. Tourner sa tête et pouvoir dire « maison » à quelque chose de rassurant.

 

Coup d'oeil au road book afin de ne  pas se tromper de sens et de pouvoir analyser la suite du parcours : « km 79 : pont Saint Rome, franchir le pont pour passer rive droite ». L'intitulé est clair et je l'applique à la lettre. Je grimpe un des multiples raidillons pour atteindre ledit pont, traverse le canal, enjambe la barrière de sécurité et me retrouve au sommet d'un mur de deux bons mètres de haut au pied duquel s'étend un magnifique bosquet de ronces.

C'est là, a posteriori, qu'on se rend compte,que la clarté mentale avait du s'effriter dans la torpeur estivale. A aucun moment, l'idée que je puisse m'être trompé m'a traversé l'esprit. J'ai râlé, comme d'habitude, enguirlandé ces incapables d'organisateurs pour nous avoir fait franchir des obstacles inutiles et trouvé une solution pour continuer mon périple.

 

Après 80 bornes, mon élasticité musculaire est proche de celle d'une grand mère grabataire. A base de reptation, d'escalade en cherchant des prises entre les pierres du mur, j'ai essayé, en vain, d'atteindre la base de cette verticalité.
N'en pouvant plus, je me suis souvenu de mes cours de physique. Tout corps lancé, tombe irrémédiablement vers le bas. Et c'est vrai … sauf que mon prof de collège avait du oublier le bosquet de ronces dans sa théorie. Je la complète donc : tout corps lancé , tombe irrémédiablement vers le bas et se retrouve le cul criblé d'épines.
Oui, aujourd'hui mon cul a de la chance, il est en relief et aromatisé au citron …

 

Cet épisode tragi-comique verra sa conclusion un km plus loin lorsque le vrai pont Saint Rome fera son apparition.

Petit à petit, la lumière décroît. Nous y sommes enfin. L'obscurité, la fraîcheur. Beaucoup ont fait le choix de temporiser durant la journée afin d'envoyer dans ces moments nocturnes. La solitude dont je parlais s'amplifie. Il n'y a plus rien, il n'y a plus personne. Les écarts sont tels, qu'aucune lumière ne perce la pénombre devant comme derrière soit.

Je n'ai jamais eu peur de courir en pleine nuit. On y fait des rencontres dont je raffole. Insectes, arachnides, reptiles, batraciens … la faune locale profite de ces instants pour s'offrir une virée nocturne.
Je me sens bien, dans mon élément, d'autant que ma femme m'épaule toujours malgré l'avancée progressive des heures.

 

Km 105, écluse de Puichéric. La barre des cent bornes est dépassée. Symbolique, rien de plus, nous ne sommes même pas à la moitié. Je sais que je vais retrouver mon épouse ici pour refaire les niveaux. La pauvre commence à baisser pavillon et tente de voler une poignée de minutes de sommeil. A quelques encablures de l'écluse, je croise un énorme crapaud. Le plus gros depuis le début de la nuit. A croire qu'il a été placé là pour moi. Ni une, ni deux, demi tour , je ramasse le batracien peu conciliant et  en foulées légères pars offrir un ami à ma chérie. Autant vous dire que le «  oh tu es mignon d'avoir pensé à moi dans ces moments difficiles ! » dont je m'estimais avoir droit a vite fait place à un « oh putain c'est quoi ce monstre ! Fais le partir vite ! » S'en est suivit un sprint de 50 mètres et j'ai dû me préparer le ravito seul. Au moins fut elle, d'un coup, mieux réveillée.

Je pourrais rajouter dans mon carnet du parfait petit entomologiste que la nuit, seuls les yeux des araignées reflètent la lumière.

 

Mes pieds commencent à me rappeler à l'ordre. Plus précisément, les deux gros orteils. J'en ai l'habitude et je ne m'affole pas. Je continue à courir au maximum , même si la marche  à depuis quelques minutes fait son apparition.

 

Le canal à ma droite, je poursuis ma progression vers ce but dont je rêve depuis si longtemps : Toulouse.

Face à moi, je surprends trois frontales. L'avantage, en pleine nuit et en ce lieu c'est qu'on comprend vite qu'il s'agit d'autres concurrents.
Le hic, c'est que ces halos dorés sont sur la rive opposée et se dirigent en sens inverse. Erreur d'aiguillage. Pour eux, pas pour moi. Je reste hyper attentif face à mon road book. Hors de question de se rajouter des kms supplémentaires par manque de vigilance. On échange quelques cris au milieu de nulle part. Le moment est irréel : 4 points lumineux qui discutent de part et d'autre d'un canal en pleine nuit.

Petit à petit, je me rapproche du point médian de la course : Trèbes. Physiquement, je tiens toujours le choc. Je ne suis certes plus aussi aérien ni aussi souple mais j'avance sans trop de difficultés. Les douleurs dans mes chaussures se font insistantes mais j'arrive encore à gérer.

 

4h30 du matin. Je pénètre dans l'unique base de vie du parcours à Trèbes. A peine posé, l'organisateur m'annonce qu'en partant tout de suite, je peux récupérer la quatrième place. Alléchant … mais je préfère assurer, nous ne sommes qu'à mi épreuve.
Je prends donc mon temps pour manger une belle assiette de pâtes, pour me débarrasser de mes vêtements collants de sucre, pour me laver sous un jet complètement glacé favorisant le retour veineux (voyons le côté positif !) et pour m'allonger quelques minutes  sur un lit de camp. Le silence règne.
Je perçois les podologues œuvrer derrières moi et les concurrents souffrir sous leurs doigts professionnels. Je m'abstiendrai de leur rendre visite ayant trop peur de ne pouvoir repartir.

Ma femme en profite pour faire une belle sieste sous l’œil vigilant d'accompagnateurs catalans qui la veilleront toute la nuit. Je n'ai pas eu l'occasion de le leur dire, mais je les en remercie.
Toute bonne chose a une fin et il faut repartir car de longs kms m'attendent encore.(120!)

 

Le jour s'est levé. Délesté de ma frontale, j'aligne effroyablement quelques pas. Dès ce moment, chaque reprise sera un enfer qui empirera avec l'avancée kilométrique. Il faut entre 500 m et un km pour retrouver une certaine fluidité gestuelle qui puisse me permettre de courir. Mais, lorsque c'est le cas, je cours facilement.

Afin de maintenir une cadence sympa, j'ai basculé sur une alternance de 300 m de marche et 1,7 kms de course. Cette répartition me conviendra longtemps.

 

Honnêtement , je me surprends à être plutôt en forme. Vu la distance parcourue, j'enchaîne relativement bien même si j'attends avec impatience autant que je crains avec effroi les pauses successives.

Entre deux écluses, je suis capable de rêver à la bonne chaise qui m'attends quelques kms plus loin et à 200 m du but, sous un coup d'euphorie, passer en trombe devant pour profiter de la forme du moment qui risque de ne pas durer bien longtemps. Je l'ai dit, plénitude totale, agonie extrême. Paradoxe quand tu nous tiens .

Km 133, traversée de Carcassonne. Nous quittons le canal pour suivre des routes très empruntées. Le profil est cassant, le paysage urbain. Cette parenthèse restera comme la moins enchanteresse du circuit .

 

Au rayon des trucs qui commencent sérieusement à déconner, j'appelle la déminéralisation. En effet, je n'ai plus rien dans le sang pour retenir le liquide que j'ingurgite. Tous les sels minéraux se sont évaporés sous les coups de la canicule de la veille. Il ne reste que des traces blanches sur mon tshirt comme un souvenir depuis longtemps oublié.
De fait, je bois et je pisse. Tout ce qui rentre, sort avec deux kms de décalage. Autant dire que je vais parsemer le reste du parcours d'une bonne soixantaine d'arrêt pipi. David est là et il marque son territoire !

Km 160, écluse de Brams. La chaleur aujourd'hui se fait moins pressante. Par contre le vent de face s'est levé. Comme depuis des heures, je cours. Pendant 240 bornes je vais longer ce canal sans qu'à aucun moment la monotonie des lieux n’emporte. Les platanes sont mes amis, ils me protègent du soleil et le bruissement de leur feuillage dans le vent occupe mon esprit.

 

Je capte un mouvement derrière un arbre. Un gars planqué, à l'affût, prêt à me sauter dessus. C'est quoi ce délire ? Je m'écarte légèrement, juste à temps pour reconnaître mon père qui s'élance à mes côtés pour une poignée de minutes.
Je reste pantois en comprenant qu'il vient de se libérer de son travail, et de se farcir 3 h de route pour m'encourager quelques instants.
Voilà une des fameuses marques de sollicitude qui peut vous rebooster. La foulée efficace, l'allure inarrêtable, j'oublie complètement l'épuisement à sa seule vue.

Son départ me plongera aussi profond que sa présence m'a élevé. Contre coup assassin. La fatigue envolée m'assaille à nouveau au centuple. Je chancelle , tangue sous les coups de boutoir de mon désespoir. Premiers gros instants de doute. Pas pour savoir si je vais finir mais en combien de temps je vais arriver à me traîner vers cette ligne finale.
Dur, d'autant que je n'arrive plus à trouver le courage de courir.

 

Tant bien que mal, j'atteins Villepinte ou je m'autorise un arrêt dodo afin de me refaire la cerise.
Dormir, dormir pour oublier, dormir pour mieux repartir. Le sommeil a le pouvoir rassurant de régénérer l'esprit. Mes jambes sont toujours fatiguées mais ma tête accepte de les faire trottiner.

J'en profite évidemment pour franchir de nombreuses écluses rapprochées symbolisées par autant de petites côtes et pénétrer dans l'antre du Cassoulet : Castelnaudary, km 177.
La traversée de la commune reste ici sympathique et plutôt ombragée. Mon état de forme se dégrade à nouveau. Je ne dispose désormais que d'une autonomie d'une quinzaine de kms avant de baisser pavillon et de errer comme une âme en peine sur les abords du canal.

 

Rive gauche, je parcours un chemin en train d'être refait. Un véhicule de chantier arrive face à moi en arrosant le sol pour fixer la poussière. Son envergure est telle que je dois grimper un raidillon sur le côté pour m'extraire de son champ. Un calvaire.
Je m'accroche aux racines qui se déterrent sous mon poids, me hisse tant bien que mal en hauteur juste le temps de laisser passer le camion citerne. Tant d'efforts , tant de dépenses pour pratiquement rien. L'obstacle franchi, je cours à nouveau au milieu de ce mélange boueux dont je n'arrive plus à apprécier la fraîcheur.

Le plaisir m'a depuis longtemps quitté. Je sais que je vais finir sans problèmes dans les temps et j'ai beaucoup de mal à trouver une motivation pour me forcer à avancer plus vite. Le mental de performer dont je parlais au début ne m’effleure même pas. Je suis vide. J'ai mal. Mes orteils me font souffrir, mes plantes de pieds me donnent l'impression d'être hérissées de gravillons alors qu'après moultes vérifications, mes chaussures demeurent vides.

Et le road book qui s'en mêle … erreur kilométrique. Deux bornes bonus .

 

 Le passage entre le port de Ségala (km 184) et l'écluse de l'océan (km 187) fut horrible. Une lente progression à la limite de l'arrêt total. Mes pas zigzaguent entre le canal à droite et les platanes à gauche. Deux chemins s'offrent à moi : celui de hallage, plat mais truffé de racines et de pierres ou un second en hauteur, plus praticable mais alternant côtes et descentes. Aucune des deux solutions m'enchante. De toute façon, rien ne m'aurait convenu … sauf de nouvelles jambes.

Je croise un accompagnateur qui prend de mes nouvelles. Vu ma tête, il a compris que j'étais au bord du gouffre. Il m'assiste, me dit que sa femme est un peu plus loin et que je peux lui demander n'importe quoi. Réconfort passager qui n'arrivera même pas à me remobiliser.

Finalement, je franchis ces trois kms, retrouve ma femme et me jette dans le coffre de ma voiture. Dodo, batteries épuisées.

30 minutes après, réveil, debout et c'est reparti. Courbaturées, mes jambes répondent de moins en moins mais se détendent au bout de laps de temps de plus en plus long. Heureusement, j'arrive encore à boire, manger et pisser sans problèmes.

Km 190. Nous entrons sur la piste cyclable qui nous mènera jusqu'à Toulouse. Cinquante bornes de bon bitume. J'étrenne cette ultime portion par un petit vomi, une pomme de terre mal passée. Ma femme s'affole, je ne me sens pourtant pas trop mal vu les circonstances.
Et comme d'habitude, je cours. Pas bien vite, mais j'avance tout de même.

 

Km 200, écluse de Gardouch. La sécurité civile se jette sur moi :
« monsieur, on va prendre vos constantes »
« non merci »
« si, si pour vérifier que tout va bien ».
Dans ma tête : Oh le rigolo , si tu crois que tout va bien après 200 bornes c'est que tu n'as jamais du courir bien longtemps toi. Laissez moi tranquille.
« chéri , stp, tu as vomi quand même ! »
Et voilà, balancé par sa propre femme. Je la choppe dans un coin, entre quatre yeux, lui annonce notre divorce certain si on m'oblige à m'arrêter. Plus jamais ce coup là, je préfère crever.

Le docteur approche, ses instruments à la main et mon avenir entre ses doigts.
« Vous avez une bonne tête » me dit il.
Si en plus je lui plais …

-        Température corporelle : « ça va »
-        Rythme cardiaque : fluctuant. Tu m'étonnes, tu me fais flipper avec tes conneries.
-        Pression artérielle : haute, très haute. Mais visiblement pas trop. Je peux repartir. Aussi vite que je suis arrivé. Ne pas s'attarder au cas ou un changement d'avis serait à l'ordre du jour.

Ma fuite prendra fin quinze mètres plus loin sur la banquette arrière de ma voiture. Pause, à nouveau. Mon temps estimé d'arrivée s'éloigne inexorablement. Nul doute qu'une seconde nuit à l'extérieur m'attend.

 

La fin est difficile. Cette piste cyclable ,n'en finit plus d'alterner côtes et descentes. Et dire que je me moquais de ces 250 m de D+.

Je multiplie les mauvais choix par fainéantise ou épuisement avancé. J'opte pour une sente plate le long du canal au  lieu de rester sur le bitume grimpant. Je me retrouve vite perdu au milieu d'herbes hautes, piqué par des moustiques dont j'ai troublé le repos.

Et me revoilà en train d'escalader le talus pour accéder à la piste cyclable que je n'aurai jamais du quitter. A genou, tout est bon pour se hisser sur ce promontoire qui culmine à quelques dizaines de cms au dessus de ma tête. Je me traîne, à plat ventre, pour finir par atteindre cet Everest.
Allongé à même le bitume, en pleine nuit, la joue sur les graviers, la situation ne me fait plus beaucoup rire .
 
Debout. Redresse toi. Avance encore, tu vas pas rester là à lécher le sol pendant des heures.
Alors je m'extirpe de ma torpeur et boitant de plus en plus bas, je continue ma lente avancée. Mon GPS a même du mal à capter une vitesse de progression.

 

Quelques kms plus loin, dans l'obscurité la plus totale, je capte un mouvement furtif derrière moi. Une sensation bizarre d'être suivi. Je me retourne et perçois une frontale en approche. Perdre une place ne m'importe plus guère. Par contre, m'accrocher au rythme de mon poursuivant pourrait me relancer.

Je me retourne à nouveau et j'ai l'impression que la frontale va se cacher derrière un arbre. Étrange. J'aligne quelques pas supplémentaires et pivote une nouvelle fois. La frontale refait des siennes et se cache à nouveau à ma vue. Merde … Qu'est ce qui se passe encore.

La fuite est une option désormais impossible. Mon allure d'escargot ne me permet même plus de larguer un quelconque gastéropode , alors un homme …
Pas le choix, va falloir être courageux et affronter le danger en face. Je me place sur le bord, éteins ma frontale, pisse une centième fois et patiente.

Quelques instants plus tard, un concurrent apparaît, tout surpris de me voir là , tel un zombie surgit de l'obscurité. Plusieurs mots d'encouragement et je n'arrive même pas à m'accrocher au train imprimé par mon collègue. Coup de bambou supplémentaire dont je n'avais nul besoin.

 

La fin du parcours tient du supplice. Je tente bien d'écouter de la musique pour me relancer mais le rythme trop rapide de celle ci diffère tellement de ma lenteur que je ne la supporte pas.

Toulouse est là, les hôtels, la lumière, les bâtiments. Je touche enfin au but. Je frôle les 3 km/h. N'importe quel banc, muret ou barrière me donnent l'occasion de m’asseoir. Le bénévole du dernier ravito m'annonce qu'il vaut mieux que je ne sache pas à quelle heure mon arrivée est prévue. C'est dire ma vitesse.

Un pas après l'autre,je pénètre dans le dernier km. Les premiers l'ont fini à 12 km/h. Moi, à 300 m du but, je trouve une rambarde de pont sur laquelle me poser. Dernier effort de volonté, dernier effort pour un physique usé jusqu'à la moelle.

 

Ma femme m'attend, emmitouflée dans un duvet fourni par un bénévole. Je franchis la ligne en 40h40 à la 13ème place. Le tout dans un anonymat le plus complet qui ne pose aucun problème. J'étais là pour me prouver que j'en étais capable et j'ai réussi. Le reste m'importe guère.

 

Il est 4 h du matin, nous rentrons directement à l’hôtel pour une douche et un sommeil bien mérité. Nu , j'observe les multiples irritations et brûlures sur mon corps éreinté. 

 

 
Mes deux gros orteils sont déformés, suffisamment pour m'inquiéter. 


Nous repartons donc voir le doc sur la ligne d'arrivée.

 

Rien d'inquiétant ,ampoules sus inguinale : percer et attendre. 10 jours après, mes deux ongles tomberont intégralement laissant mes orteils à vif, torturés.

 

La suite du programme est simple : dodo et manger. Se défaire du rythme de sommeil de la course me prendra plusieurs jours.

 

Le jeudi soir , un repas de clôture est organisé pour offrir les récompenses aux différents vainqueurs. 

 

Moments chaleureux, partage d'expérience et conseils dans l'escarcelle je tourne une page supplémentaire de ma vie sportive. La plus belle mais sûrement pas la dernière .

 

Remerciement multiples :
-        Merci à ma famille pour avoir supporté les dizaines d'heures d'entraînement sans broncher.
-        Merci à tout ceux qui m'ont suivi durant cette épreuve et qui m'ont apporté leur réconfort.
-        Merci à mon père pour le déplacement qui restera dans ma mémoire.
-        Merci à l'organisation sans qui ce genre d'épreuves n'existerait pas.
-        Merci aux kikoureurs que j'ai croisé furtivement ou plus longuement : Jean phi, Will, fastoch et sa femme (et leur seconde place)

 

-        Merci aux autres coureurs et à leurs accompagnateurs. J'ai pu approcher des mythes et faire parti quelques heures de la même famille.

 

-        Et un grand merci à ma femme , sans qui rien n'aurait été possible. Te souviens tu de ce que nous avions dit après l'armorbihan ? Tant que nous n'aurons pas trouvé les limites de mon corps, on cherchera toujours plus loin. Tu sais donc à quoi t'attendre. Et plus d'appel aux secours ok ?

Côté organisation :

De nombreux reproches ont été adressés à l'organisation. De mon côté, je vais parler de ce que j'ai vécu, de mon expérience personnelle.

-        d'abord, le site internet de l'épreuve fut trop léger en renseignements : lieu de la pasta party, ou sont les ravitos, de quoi sont ils composés, quel resto pour le repas de clôture …. sans les demandes facebook, de nombreuses informations ne nous seraient pas arrivées. Et même avec celles ci, nous n'avons appris des choses que  pendant l'épreuve. Gros point noir pour moi. Tout aurait du être clair, écrit noir sur blanc pour ne pas prendre aux dépourvus certains coureurs.
-        Christian, l'organisateur, ne m'a posé aucun problème. Il a répondu à mes coups de téléphone et à toutes mes questions. Je ne lui en ai certes pas posé beaucoup. Je comprends toutefois que son caractère entier, sanguin et son verbe haut puisse déranger certains.
-        Le road book, sauf une erreur de km qui fut récupérée sur la fin, a été précis et sans hésitations.

 

-        Les bénévoles au top !

 

-        Le trophée de finisher et le dossard sympas , manque seulement un t-shirt (je trouve)
-        Face aux manques d'infos du site et après lecture de nombreux récits des éditions antérieures, j'ai préféré opter pour une logistique personnelle. Ma réussite vient de ce choix.
Et je ne comprends toujours pas comment certains sous la canicule sont partis avec si peu de boisson.
-        De plus , il ne fallait pas confondre points d'eau (à trouver grâce aux éclusiers) et ravitos. Il fallait comprendre que cette épreuve demandait une bonne grosse dose de  débrouillardise.
-        Bravo aux 25 finishers sur la soixantaine de partants.
-        Les balises GPS furent une bénédiction pour pouvoir être suivi par son entourage.
-        Le prix d'inscription est,  je trouve, trop élevé : 150 euros. Bien qu'une grosse majorité soit offerte à une association. Moitié moins m'aurait semblé logique (comme à l'armorbihan).

Pour le reste des critiques, je n'ai pas à en juger car ce sont des situations que je n'ai pas eu à vivre (rapatriement …) et à aucun moment , je ne me suis senti « en danger ».
Ce qui est certain, c'est qu'un accompagnateur vélo ou voiture me semble obligatoire face au faible nombre de ravitos et à la chaleur suffocante que cette période de l'année offre.

 Résultats ... ici !
merci aux différents photographes !

mardi 30 juin 2015

L'integrale de Riquet J-7

 
Mon histoire personnelle s'écrit sous la plume des actions que j'entreprends. Elles me forgent, me modèlent en tant qu'homme et font de moi ce que je suis.

Dans une semaine, je vais me retrouver face à la plus grande épreuve que j'ai jamais eu à affronter. Croire que tout se passera bien est une hérésie. Je vais souffrir, je vais avoir mal et je finirai à l'agonie.


Le constat est clair mais la conclusion indécise. Sur 241 kms , les aléas vont être nombreux. La canicule va user prématurément l'organisme. Il va falloir être patient, courber l'échine sous la chaleur accablante et courir un maximum au crépuscule et durant la nuit.

Ma femme , indéfectible pilier sur lequel je peux m'appuyer, m'épaulera et souffrira avec moi. Elle assurera la logistique au delà de ce que je mérite. Car depuis 8 mois , je ne m'éternise guère à la maison. 40 heures minimum d'entraînement par mois , jusqu'à 65 h pour le plus chargé.


Je ne vise aucune performance particulière. Finir sera déjà un exploit non négligeable. Autour de moi vont se dresser des mythes de l’ultra fond Français. Des concurrents dont je guette régulièrement les résultats.

Le 7 juillet , je serai à leur côté, à la conquête d'une épreuve historique qui pourrait changer ce que je suis et m'ouvrir des perspectives dont je rêve depuis longtemps.