dimanche 22 février 2015

La noctambule chimacienne

J'adore courir la nuit. Lorsque le premières foulées percent l'obscurité, je rentre dans une bulle ou les distractions n'ont plus leur place et ou l'introspection prend la sienne.
Les sons se limitent aux rares hululements d'une chouette affamée , le champ visuel se restreint à la courte portée de la frontale .
On associe souvent la course à pied à la liberté et aux grands espaces. En pleine nuit, la seule fuite accessible est celle de l'esprit.



En ce samedi soir, je me trouve à Chimay (Belgique) pour la seconde manche du challenge de la forêt du pays de Chimay. Ce challenge propose deux versions : une courte (avec des courses d'une vingtaine de kms) et une longue (courses d'une trentaine de kms).
Aujourd'hui, l'épreuve présente une distance unique : 23 kms 300 D+ ou vont se croiser les challengers du court comme du long.
Le lieu de RDV est un collège avec de nombreuses places de parkings ou tout est bien organisé. Je retire mon dossard et mon cadeau d'inscription (une bouteille de bière et un fromage de Chimay qui va embaumer ma voiture !, un bon pour une soupe .... le tout pour 10 euros !)
Le temps est clément, pas de pluie , pas de vent , le terrain s'annonce boueux. Je continue mon traditionnel rituel d'avant course, d'abord la chaussette gauche toujours ... et je passe ensuite à l'échauffement ou il me reste quelques minutes pour tester ma nouvelle frontale (ancienne perdue lors du trail D2B) .
15 minutes de footing plus tard, je rejoins les marches du collège ou un briefing nous attend. L'ambiance excellente est cependant douchée par la chute soudaine de trombes de grésil. Nous nous abritons sous un préau, à l'écoute des dernières infos puis nous nous dirigeons au point de départ (sous un pont !).

Je me place devant, bien conscient que sur une course aussi courte, un mauvais départ peut plomber son résultat. Le peloton constitué de 380 personnes attend les ordres oraux du starter qui va y laisser  une corde vocale. J'aime bien ça , "à l'ancienne" comme il l'a précisé .Pas de chichis, pas d'orgueil ni de négligence. Juste une volonté assumée d'offrir une épreuve "nature".

La meute est enfin lâchée. Les premières portions bitumées permettent déjà d'envoyer du lourd. Nous nous faisons happer par l'obscurité malmenés par les conditions météos qui s’aggravent de secondes en secondes. Le grésil laisse la place aux flocons de neige, le thermomètre baisse sensiblement. J'ai les jambes rouges rafraîchies par le sol détrempé et le déluge qui s'abat sur nous.

Mais la nuit joue son rôle, maîtresse d'oubli. Ma bulle de lumière , espace ô combien intime, est perturbée par le nuage de vapeur qui s'extrait de ma bouche, signe que le froid s'installe tranquillement. La visibilité reste limitée et faute d'être équipé d'antibrouillards , je m'efforce de deviner le terrain à venir au travers de ce rideau de fumée.

L'obscurité altère les perceptions, les flocons tombent drus. Ils se matérialisent devant le faisceau de ma frontale par des lignes blanches entrecoupées d'espace. Ces figures me font penser à de nombreuses choses dont des tirs de mitraillettes. Moins mortels, mais tout aussi glaçant.

En plein jour, la première place d'un groupe permet de libérer le champ de vision et d'anticiper ses trajectoires . En pleine nuit, cela n'est pas le cas. Devant soit, se forme un no man's land, une zone invisible causée par l'ombre de son propre corps captée par la frontale du coureur derrière soit.

Toutes ces particularités sont inhérentes aux courses nocturnes. Elles sont d'autant accentuées que la vitesse de progression est grande. Durant ces 23 kms, je suis passé par divers phases.

D'abord parti sur les chapeaux de roue, je me suis rapidement retrouvé 5ème. Le début du circuit bitumé puis les chemins bien nets m'ont permis de ne m'occuper que de mon rythme. Les appuis ne posant pas encore de difficultés.

Puis, j'ai quelque peu calé, surtout en descente, ou je suis resté frileux à lâcher les chevaux. Souvenir de périostite. Les places se jouent à peu de choses et je commence à sérieusement rétrograder ( 9 ème ). La visibilité devient difficile lorsqu'on pénétrè dans le royaume forestier. Avec la vitesse, je devine au dernier moment une pierre, une branche ou un tronc cachés au milieu de la boue ou des feuilles. Je ne les évite qu'avec de la chance. Mais celle ci ne peut tenir durant 23 kms et je ne tarde pas à me tordre violemment la cheville .

Depuis que nous sommes au milieu des bois, j'ai l'impression de courir au hasard, de poser mon pied au sol en espérant qu'aucun piège ne m'attend. Crispé, refroidi par une seconde torsion du pied, j'ai du mal à maintenir mon allure. Un concurrent me rattrape, me presse. Je tente d'accélérer pour ne pas le ralentir et je loupe un embranchement. 200 m de grosse descente plus tard, j'arrive à un carrefour vierge de toute indication. Je me suis égaré. Demi tour, ascension, colère. Le temps de récupérer le parcours, je vois s’égrainer les frontales qui me doublent.

Je suis dégoûté. Je n'ai plus l'envie et je n'arrive même pas à accrocher les nouveaux coureurs qui se présentent derrière moi. Il faut de toute façon avancer et utiliser cette sortie comme une séance de fractionnés, faute de mieux.

Alors je me remets dedans , reprend un rythme correct afin de stopper l’hémorragie. Le résultat est immédiat, je ne perds plus de place, mais n'en gagne pas non plus. Passage à un carrefour, un bénévole annonce "16ème". Il y a encore moyen de faire quelque chose . Je manque certainement de vitesse, mais j'ai la caisse pour tenir une allure régulière sur ces 23 kms.

Reboosté, je retrouve un second souffle et commence la chasse. Les frontales sont bien visibles devant moi et n'attendent que d'être rattrapées. Pas d'inquiétude, j'arrive. Même sentiment de maîtrise qu'à Couvin.
Je double les concurrents les uns après les autres, plaçant un petit coup de rein lors des dépassements pour éviter d'être suivi. Un coureur se cale derrière moi et se colle à ma foulée. Je l'entraîne dans un fauteuil sur le chemin du retour.

Tous ces efforts commencent à peser sur mes jambes. D'abord poids mort, Le collègue accroché à mes basques retrouve à son tour des couleurs et prend des relais bien costauds. Il va nous permettre de maintenir une allure soutenue pendant quelques kms.Je m'accroche difficilement à son sillage, serrant les dents devant son regain de forme, devenant à mon tour un boulet . Un regard vers l'arrière, le trou est fait. On va pouvoir gérer la fin du parcours et finir ensemble main dans la main.

Chose faites au bout d'1h48 d'effort pour 23 kms, 300m de D+ et une 10 ème place (loin du premier en 1h37). Nous nous congratulons, nous remercions pour avoir assuré les relais au moment ou l'autre était dans le dur.

Je reste discuter quelques minutes avec John un membre du club de Madres ( brillant 4 ème aujourd'hui ) et rentre me changer, frigorifié par les trombes de flotte gelée que nous avons reçu pendant près de deux heures.

Côté organisation :
- rien à dire, pas d'écueil, rien et c'est suffisamment rare.
- parcours sympa mêlant du très roulant (bitume, chemins) à des sentiers boueux et traîtres . Quelques côtes raides et glissantes s'intercalent au milieu de tout ça. Les 5 premiers kms sont aussi les 5 derniers mais à l'envers, forcement.
- Bénévoles à tous les carrefours, circuit super bien balisé et erreur imputable qu'à moi même
- tarif d'inscription modique pour une soupe, une bouteille de bière et un fromage qui pue.
- aucun ravito

De mon côté, je peux enfin partir en vacances et continuer l'entraînement dans la perspective des 36 kms du trail de Chimay le 8 mars.
Je ressors de cette épreuve satisfait mais aussi conscient de mes limites du moment. je dois être capable d'aller encore plus vite .Nous verrons ça dans 15 jours !

Résultats ... ICI !
Photos à venir



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