Je ne sais pas réellement quand l'histoire a commencé . certainement dans les années 80 ou les précurseurs du triathlon se tiraient la bourre dans leur mini tenue ultra sexy. Une époque où le crop top était encore autorisé.
Mon père faisait partie de ces pionniers. Dans son moule bite bien rempli (un héritage de famille), les abdos saillants et sur sa machine de compèt, il a parcouru les routes des grands classiques que sont encore aujourd'hui Nice ou Embrun.
J'étais petit ( ou jeune ... j'anticipe les blagues de certains) et j'ai baigné dans cette ambiance familiale sportive.Et puis la vie a passé. Au grès des péripéties, le triathlon est sorti de notre vie. Pas le sport.
Mon père a continué à enchaîner : tour de France à vélo, traversée des Pyrénées en courant, enchaînement lac Léman à la nage, traversée des Alpes en courant et retour jusqu'à Narbonne en vélo.
Écrit comme ça , cela paraît hallucinant. l'année dernière encore il est venu me voir dans le Nord ... à vélo. 1000 bornes à 60 ans passé.
Le plus triste finalement c'est de ne m'être jamais rendu compte des exploits que cela pouvaient représenter. C'est un peu comme l'école : ce n'est qu'après coup qu'on se dit qu'on aurait du y travailler davantage.
L'insouciance de la jeunesse comme œillères à ce(ux) qui nous entoure(nt).
Malgré tout, la graine était plantée. elle a certes mis du temps à germer mais elle a poussé. Pas toujours droite, ni dans la bonne direction.
La branche football de ma vie se souvient davantage de mes roulades de simulation que de mes gestes techniques. J'étais mauvais mais mon père était quand même là , au bord du terrain, à soutenir son Neymar (sans talent) de fils.
Parfois il se cachait, parfois il faisait style de ne pas connaître ce comédien du rectangle vert mais il était là.
Alors comment s'étonner de le retrouver sur la route du plus gros défi sportif de ma vie ?
Pour la première fois de notre existence, nous avons été synchronisés. Conscient de ce que la présence de l'autre pouvait représenter.
L'altriman est devenu , sans que je l'anticipe, une course en duo. J'en ai chié physiquement autant qu'il en a morflé psychologiquement.
Debout 3h30 avec lui. Checklist du matos et derniers conseils. Les ficelles de ses heures de gloire peuvent encore s'appliquer aujourd'hui.
Direction la ligne de départ ou son vécu lui a permis de comprendre et respecter mes instants de silence. Communion sans paroles.
La séparation. On est pas trop versé dans le sentimentalisme dans la famille. Pas la peine d'envolées lyriques pour lire ce qu'un seul regard peut transmettre.
C'est maintenant à moi de jouer. J'adore nager et je suis plutôt doué pour ça. Confiant, je suis pourtant à deux doigts de la crise de panique lors des premiers mètres. L'obscurité, les concurrents, l'altitude ne me permettent pas de poser ma nage. Mon père l'avait anticipé et me l'avait annoncé avant l'épreuve. Ses conseils comme bouée au milieu de ce déferlement d'émotions.
Les choses se mettent finalement en place et je prends plaisir à enchaîner les coups de bras dans ce lac d'altitude. La nuit claire nous permet de distinguer la voiture avec gyrophare stationnée de l'autre côté du plan d'eau et qu'il faut viser pour atteindre la première bouée.
Le soleil se lève, un léger voile de brouillard l'accompagne. Je me sens bien , seul, libre au milieu de cette étendue d'eau.
Le retour se fait sur le même principe qu'à l'aller : suivre la lumière comme un phare nous ramenant au bercail.
Je ne le sais pas encore mais je remonte des concurrents. pour la première fois de ma courte expérience en triathlon , je teste la sortie à l'Australienne.
Pas d'affolement les gars, je ne suis pas escorté par des naïades ultra bronzées en bikini et perchées sur des planches de surf. Rien de tout cela. On parle ici d'une sortie de l'eau en courant avant d'enchaîner sur une seconde boucle de nage.
Ce passage s'effectue sur un ponton flottant nous obligeant à adopter une foulée digne d'un manchot du Cap.
Se jeter à nouveau dans l'onde bleue du lac de Matemale me procure une belle satisfaction. Cette seconde boucle sera réalisée de jour et seule une bande de brouillard passagère me masquera momentanément les lumières du retour.
Je m'extraie finalement de l'eau en 5ème position, avide , mais en même temps craintif, d'affronter le gros morceau cycliste de l'épreuve.
Le changement d'ambiance est radical. L'isolement sensoriel du milieu aquatique laisse place aux bruits et encouragements du public. je profite du moment , bien conscient qu'il précèdera sans doute une dizaine d'heures de selle au milieu de routes complètement désertiques.
Et pourtant , la réalité fut toute autre. Je ne le sais pas encore mais je m'apprête à entamer un contre la montre XXL de 200 bornes suivi par mon père. Les images du Tour de France ne sont pas loin. Seuls le mégaphone hurlant "Venga ! Venga !" et la pancarte nominative manquent au décorum.
Écrasé par la roche, étouffé par la chaleur, martyrisé par les pentes , il restera à mes côtés tout le parcours , outre de motivation à laquelle je sais pouvoir m'abreuver.
Ces croisements fréquents au gré de nos avancées successives me permettent de découper le parcours en portions plus courtes aisément digérables par un corps de plus en plus fatigué.
Les cols vont s'enchaîner. 9 au total.
La Quillane, la Llose et le Creu nous mettent rapidement en jambes. Pas vraiment compliqués mais sacrément techniques dans leurs parties descendantes. La vallée des Apaches offre des panoramas à couper le souffle où quelques villages inaccessibles accentuent la beauté brute des lieux.
Et puis arrive un miracle : une partie roulante.
Entre Matemale et Usson-les-bains, le parcours nous permet d'augmenter sensiblement la moyenne. Les kms défilent vite pour nous déposer au pied du Port de Pailhères , épouvantail du circuit avec son label Hors Catégorie.
Je connais l'ascension. je l'ai parfaitement en tête et j'avale prestement les lacets au dessus de Mijanès. Chaque rencontre avec mon père me renseigne sur les écarts. Je double et rentre enfin sur le podium.
Autour de moi, mon entourage s'agite. Le suivi live de l'épreuve tient tout le monde au courant. Les téléphones chauffent et mon papa découvre le boulot de standardiste téléphonique. On m'a toujours dit que la soupe faisait grandir, visiblement voir son fils se rapprocher de la tête de course entraîne le même effet ...
Au sommet de Pailhères, la bascule s'effectue à grande vitesse. Seul un court slalom entre quelques chevaux égarés sur la chaussée vient ralentir le rythme de cette descente effrénée. Le véhicule du paternel en voiture ouvreuse me permet d'anticiper les virages et l'intensité des feux stop donne autant d'indices qu'un Daniel Elena sur le siège passager.
A Lavail, le tracé quitte la route principale pour entamer l’ascension du Pradel. Le braquet que je développe commence à m'inquiéter car il ne me reste que peu de dents en réserve pour la fin du parcours. Quelques randonneurs disséminés sur les pentes représentent autant de points de repères que je m'attache à rattraper.
Je ressens pourtant un coup de mou. Peut être à cause de la chaleur ou tout simplement des difficultés affrontées jusqu'à là. Au sommet du Pradel ma place sur le podium n'est toujours pas menacée et encore mieux, le gars devant moi est en train de craquer.
Alors, je garde le rythme dans la descente de La Fajolle. Pas de risques inconsidérés mais j'appuie sur les pédales pour accumuler facilement des kms.
Cette allure élevée m'amène rapidement au pied du col de la Pradel. Pas le plus compliqué, ni le plus long mais il fait chaud et la fatigue accumulée me scotche à la route.
D'abord douces , les pentes augmentent sensiblement dans sa seconde partie. C'est le moment où je ramasse mon prédécesseur pour passer en seconde position.
Pour autant, je n'arrive pas à le larguer et il me collera au train jusqu'à ce qu'il chute dans la descente pourrie vers Bessède-de-Sault. Après son rôle de coach, de directeur sportif ou de secrétaire, mon père s'occupera de ramasser le gars et de lui rafistoler son vélo.
Me voilà second.
Plus pour longtemps. Je n'ai même pas le temps de cogiter que je commence à me faire rattraper par les meilleurs cyclistes. Je leur aurais tenu tête pendant 140 bornes, plus que je ne l'imaginais . Coup sur coup, je suis éjecté du podium pour récupérer ma 5 ème place héritée à la sortie de la natation.
Aucune déception de mon côté. L'altriman demeure une épreuve où l'on se bat contre soi même et je sais que la suite du programme va être ardue.
Pratiquement plus de descentes et un enchaînement titanesque de cols : Garavel, Carcanières et les Hares. Les pires difficultés se cachent souvent où on les attend le moins. Nul label Hors Catégorie ou autres statistiques terrifiantes mais une accablante série de pentes surchauffées.
Pour la première fois du parcours je choisis de m'arrêter à l'ombre pour bien m'hydrater , m'alimenter et détendre mes jambes qui crient au supplice.
Le Garavel dure, s'éternise et je n'avance plus très vite. Le moindre ravitaillement symbolise à mes yeux un oasis au milieu d'un désert de souffrances.
La forme n'est pas top. Mon père en est conscient. Comme depuis le début de la course il arrive à occuper la place qu'il faut au moment ou il le faut. Dans ces instants , je n'ai nul besoin d'un coup de fouet ou d'encouragements bruyants et excessifs. Je recherche de la compréhension, de l'empathie et je sais pouvoir les trouver dans les gestes de mon père.
Cahincaha , je me rapproche du col de Carcanières. Le décrire avec des mots serait lui faire déshonneur. Rien ne nous sera épargné. Les folies sont les seules choses qu'on ne regrette jamais et je me forge sur ses pentes des souvenirs que je garderai éternellement.
Le col des Hares par Querigut s'apparente davantage à de la survie qu'à du sport. Le moindre tour de pédales représente une victoire sur les crampes que mes cuisses commencent à développer. Je suis éreinté et je m'étonne de pouvoir encore amener le gros plateau dans la plaine qui nous ramène au parc à vélo. L'entrée sur le site du lac de Matemale sera une étape de plus franchie dans ma quête du titre de finisher.
J'y pénètre avec une heure d'avance sur mes prévisions en compagnie de deux autres concurrents (5,6 et 7 ème).
Pour la première fois j'y retrouve toute la famille. Leur rencontre ne se fait pas sous les meilleurs auspices tant ma fatigue m'empêche de profiter de l'instant. Je préfère demeurer seul, unique spectateur de la loque que je suis devenu.
Durant la seconde transition, je prends mon temps en cherchant à bien m'hydrater et à bien m'alimenter avant de m'élancer sur les deux boucles identiques du parcours course à pied.
Le tracé , en Aller/ Retour , peut se diviser en plusieurs parties : d'abord une portion plane autour du lac jusqu'au bout du barrage , puis une longue et raide ascension pour grimper sur les hauteurs des Angles avant d'enchaîner sur une zone vallonnée vers le lac de Balcère et de redescendre sur les rives de plan d'eau.
Lors de mon premier ironman, j'avais réalisé le marathon en un peu plus de 3 h. Aujourd'hui, je suis impatient de savoir ce qu'il va me rester dans les jambes.
Les débuts sont prometteurs rythmés par une allure tout à fait satisfaisante mais je sens rapidement que cela ne tiendra pas longtemps. Les pentes initiales de la partie ascendante me contraignent à passer à de la marche plus ou moins rapide. Outre la perte de temps évidente cela réveille aussi les crampes de mes cuisses. Le km de l'avenue de Balcère , avec son pourcentage dément me fera autant souffrir que les diverses difficultés empruntées au sein du village (rampes,marches ...)
Le temps passe. Comme les kms. Je me fais doubler plusieurs fois m'éloignant progressivement des places d’honneur. Mon avancée chaotique réalisée à un train de sénateur me rapproche à chaque pas de l'arrivée. Mais c'est long. Mon corps décline. Mes oreilles se bouchent et le resteront jusqu'au terme de l'épreuve. Chaque parole prononcée résonne dans ma tête comme une sorte d'écho métallique.
Je croise des concurrents, j'en double parfois. Je ne sais pas qui se trouve dans sa première ou deuxième boucle. Je perds de fil du classement et honnêtement cela m'importe peu. J'essaie de reconnaître des visages, de gérer les écarts. Cela m'occupe et ajoute une once de motivation à un esprit seulement concentré sur la ligne d'arrivée.
La foulée rasante me laisse en proie aux possibilités de chutes. Chaque trottoirs, marches ou nids de poule sont autant de pièges qui s'acharnent à se placer sous mes pas. Des difficultés insignifiantes au quotidien prennent , en ces circonstances, des proportions inconcevables.
Je ne peux même plus piocher un surplus d'énergie dans mes rencontres familales tant ma souffrance m'emprisonne dans une bulle de solitude au sein de laquelle personne n'est convié.
Mon chemin de croix se terminera en 14h54 avec une 14 ème place honnête.
Je termine rincé , épuisé.
A la merci d'un corps qui me fera payer ses excès. Envie de vomir, sensations de froid, jambes raides .
J'ai tapé dedans et j'en subis les conséquences mais franchement , cela en valait le coup.
Conclusion :
Autant le dire tout de suite , j'étais ultra préparé pour atteindre un niveau de forme que je n'ai jamais eu
485 jours consécutifs d'entraînement sans jour de repos.
Depuis le début de l'année 2021 j'ai effectué 1150 kms de cap, 10 000 kms de vélo et seulement 47 kms de natation conséquence de l'ouverture tardive des piscines post covid (le 9 juin).
J'ai perdu pas mal de poids pour descendre à 53 kgs.
J'ai reconnu le tracé vélo l'an dernier.
Je dois aussi souligner l'effet positif qu'a eu mon inscription à la Team Triathlon Maubeuge qui m'a permis de côtoyer des gens comme moi, avec les mêmes passions, les mêmes attentes et les mêmes envies. Cette émulation m'a motivé les jours où la tête ne répondait plus. Ce résultat est aussi un peu le leur.
Durant tout ce récit, j'ai volontairement omis d'aborder la présence de Tof (aligné lui aussi sur le full), de Felix et Aurore (sur le M). ce weekend montagnard a été l'occasion de se découvrir et j'ai pris beaucoup de plaisir à partager ces moments avec eux. Bravo pour les perfs et merci pour les encouragements.
Merci aussi à l'organisation et aux bénévoles qui ont pris soin de nous durant ces longues heures. Toujours un mot sympa, réconfortant. L'ambiance familiale , éloignée de l'image parfois guindée que peut dégager le triathlon, a ravi le plus grand nombre.
Et enfin , un grand merci à la famille pour le soutien. J'ai certes abordé la relation père /fils au travers de ces quelques lignes mais ce sont quand même ma femme et mes enfants qui ont subi le contrecoup de mes absences et fatigues à répétition. Je souhaite à tout homme la chance d'être accompagné par la compréhension, l'empathie et le dévouement de sa moitié ( en plus elle est sexy).
Maintenant que j'ai eu quelques jours pour digérer tout ça , j'alterne entre euphorie et déception. Je suis évidemment fier du résultat mais je cherche à comprendre ce que j'ai pu louper. L'axe hydratation/alimentation se dégage et certaines améliorations sont à envisager. Tout comme l'absence d'enchaînement sortie longue vélo/ sortie cap qui m'a peut être porté préjudice.
Difficile de trouver une réponse. Peut être d'ailleurs n'y en a t il pas . Peut être ai je atteint mon plafond de verre . J'aime à penser que je suis capable de mieux . l'avenir le dira . Sur l'altriman ou ailleurs .
Chapeau David ça fait rêver !
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